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物語

@Arthur Brenac

@Arthur Brenac

Sous le musée...

...les coulisses.

Les entrailles du musée des Confluences gargouillent. Dans l'étage -2, tout s'articule. Focus sur les espaces de restauration; l'hôpital des objets de patrimoine.

À ma grande surprise, l’ascenseur ne craquelait pas. Ça devenait une certaine habitude d’entendre l’appareil grogner. Chose peu rassurante, surtout quand mon cœur balance davantage pour les plus rudes escaliers. Mais ici, l’animal était docile, ronronnant même. Il s’enfonçait dans les entrailles du musée des Confluences. Les numéros défilèrent : 3, 2, 1, 0, -1… Jusqu’à se figer sur le -2, destination finale. Les portes s’ouvrèrent sur un spectacle des plus épurés. Un labyrinthe. Aucun autre mot ne me venait à l’esprit en épiant les parois grisâtres de ces brumeux sous-sols. Les couloirs élancés, les intersections rectilignes… L’étage s’apparentait à un sordide quadrillage. Une moindre erreur d’inattention, et nous nous butions à l’impression de déjà-vu, ce dans le style du « ne suis-je pas passé par là ? » Je dramatise un poil, certaines indications ornaient les murs (flèches et tout le tralala). Mais les lieux me sidéraient tout autant qu’ils me titillaient.

Histoire de faire une métaphore mieux ficelée, j’eus l’impression d’être un insecte dans une fourmilière grandeur humaine. Le plafond côtoyait les trois, voire quatre, mètres de haut, ce permettant aux objets volumineux de voyager sans entrave entre les espaces de régie, de restauration et ateliers. Tels des péages, des portes massives – verrouillées sans code – sectionnaient les longs corridors, « pour des mesures de sécurité » m’assurait ma chargée de presse. Assorti, un autre ascenseur tout aussi monstrueux – je n’ai pas eu le luxe de connaître ses exactes mesures. 

La fourmilière était néanmoins fantôme. Seuls quelques employés vagabonds naviguaient dans ces eaux troubles, de façon occasionnelle toutefois. Les quelques-uns que j’ai pu croiser trainaient avec eux de larges caisses boisées, par déduction contenant une relique d’un lointain passé… Je guettais ses déplacements. On me prohiba de fouler les réserves – nid de 3 000 objets – et encore moins les cinq étages du CCEC (Centre de Conservation et d’Etude des Collections) qui frôle les deux millions de reliques « conservées ».

@Musée des Confluences

@Arthur Brenac

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Enracinée dans le mur gauche, une titanesque porte patientait… Nous étions au seuil des espaces de restauration, le « centre de soin » des objets muséaux. « Aux alentours de 80 objets [sur quelque 250] de l’exposition Yokainoshima, esprits du Japon, doivent passer par les mains des restauratrices », précise Deidre Emmons, chargée des collections Asie du musée des Confluences. Comme le pointe si bien l’appellation, son rôle est de superviser les éléments d’une section des réserves du centre culturel – ici divisé par zones géographiques. Pour autant, Deidre Emmons n’est pas la science infuse. Elle a dû faire appel, force fois, à des spécialistes sur le folklore nippon - pas forcément donc son domaine de prédilection. 

La porte montrait peu de résistance, ce malgré la stature. Les espaces de restauration rayonnaient de leurs lumières jaunâtres, rebondissant alors le front de la statue Kannon. La relique n’était pas la seule à flâner ou attendant les mains de fées des restauratrices. Mon esprit, formaté par les clichés romançant les musées, imaginait des quatre murs plus larges… Mais ils n’en perdaient pas leur splendeur, loin de là. Des étagères, boursoufflées d’instruments, s’élançaient sur les murs droit et gauche de la principale artère. Au centre, une large table où planchaient deux restauratrices, une sur un chapeau de paille nippon, une autre sur la statue mentionnée plus tôt… 

Le couvre-chef japonais souffrait de trous filiformes qui se sont installés avec le temps. La restauratrice appliqua de longues bandes de papier japonais teintes en jaune paille. Là s’illustre une règle d’or de la déontologie de la restauration : les changements ne doivent jamais « heurter » l’histoire d’un objet. Les matériaux utilisés sont généralement réversibles, notamment les peintures employées. « Seul un expert peut voir la différence de près » renchérissait la restauratrice. 

À sa gauche, sur une table qui m’arrivait au bassin, de lilliputiennes statuettes poireautaient. Elles trépignaient d’impatience…Ces petites pièces sont des netsuke. Elles nouent les kimonos qui n’ont ni poches, ni ceinture (obi), mais sont davantage reconnaissables pour les personnages qu’elles représentent - typiquement du folklore nippon, ça va de soi. La petite nuée de nestuke jouissait d’origines diverses. Là est un des plus grands défis de Deidre Emmons : retrouver les origines de ses protégés, un casse-tête par moments. Trucs et astuces existent toutefois pour « situer » la provenance des objets. « Sur les netsuke, expliquait la chargée de collection, on voit qu’il y a deux groupes distincts. Certaines figurines ont des finitions plus méticuleuses, d’autres sont plus grossières. Ce genre de détails aide dans un processus souvent laborieux. Rien qu’une signature sur une oeuvre peut prendre des mois à déchiffrer. » 

Car quelques-unes dateraient de 1950, certaines du XIXe siècle, une poignée sont en bois, d’autres en ivoire… Les netsuke n’ont pas perdu une ride. La preuve, kitsune, tengu et daruma me souriaient de leurs plus belles dents.

De ses yeux plissés, la statue Kannon scrutait les espaces de restauration. Le diagnostic ? Cette fissure béante sur le socle supérieur de l’objet aux mille bras, nullement réparable si l’on croit les propos d’Irène Bordereau, restauratrice en charge. « Combler le trou ne ferait qu’heurter la stabilité de la statue », affirme-t-elle. Puis, ce défaut atteste de l’authenticité de l’objet entre guillemets. » Autre problématique, la mandorle - support arrière - désaxée du corps de l’objet. Irène Borderau appliqua donc une faible colle dans la fente supportant la masse.

Pinceau à la main, Irène Bordereau caressait la statue. « Ce qu’il faut savoir avec les restaurateurs est qu’ils n’ont pas de salariat, conversait-elle. Ils interviennent selon une commande donnée que ce soit pour un musée ou un antiquaire. » Irène n’était là que pour une brève journée, une « course contre-la-montre » aimait-elle renchérir.  Mais ce contact avec un autre temps, elle s’en nourrissait. « Ne pas embellir l’oeuvre, mais préserver l’existant », tel est son crédo et celui de la profession. Certains ne l’entendent pas de cette oreille, tout dépend de l’employeur développait la restauratrice. Des antiquaires commandent, par exemple, des trompe-l’oeil…

Irène Bordereau agrippait son appareil photo. Illustration de leurs avancements, les clichés sont essentiels. Les restaurateurs-conservateurs se doivent de mitrailler leurs objets, ce pour habiller leur « journal de bord ». Derrière Irène, Magali Martin s’abandonnait à la même activité sur une chaise pliante nippone. Pas pour Yokainoshima, esprits du Japon, à ma grande surprise, mais pour une exposition au musée Dauphinois de Grenoble. La chaise, elle, souffrait d’attaques d’insectes microscopiques qui se construisaient des réseaux dans la paroi boisée. Pour rafistoler l’objet, il n’y avait pas dix milles alternatives, qu’une radicale : l’anoxie. « Les objets sont traités dans une atmosphère azotée, soulevait Laure Cadot, elle aussi restauratrice. On injecte de l’azote dans l’enceinte hermétique d’anoxie. Ça chasse l’oxygène. À terme, ça étouffe les insectes. »

Un parfum d’antan se frayait un chemin dans mes narines. Sans m’en rendre compte, je côtoyais les vestiges d’un ère longtemps finie, mais pas révolue pour autant. Je croisais le regard de la statue Kannon. Une brève pensée me traversa l’esprit. Rien n’est éternel, tout est voué à péricliter un jour ou un autre. Mais quand est-ce que nous sommes réellement défunts ? Le corps s’effrite, mais l’âme traverse les âges. À mon estime, nous ne sommes plus, quand on nous oublie, pas avant, ni après. Accompagné de ma chargée de presse, je repassais la porte massive des espaces de restauration. Pour moi, c’était clair : l’Homme a réussi à tromper la mort.

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