インタビュー
" Être responsable des services d'exposition...
...c'est comme être chef d'orchestre ! "
@Arthur Brenac
Le pont entre deux mondes. Christian Sermet est responsable du service des expositions. Il mène à la baguette (sans mauvais jeux de mots) les expositions comme il respire. Dans un recoin des espaces permanents, je le rencontre…
@Arthur Brenac
@Arthur Brenac
@Arthur Brenac
Au détour d’un couloir, Christian Sermet flâne entre le crâne d’un mammouth et textile touareg. Peut-être affectueusement – en plus d’être véridique – ses collègues l’estiment être la « mémoire vive » du musée des Confluences. Les aléas du temps l’ont à peine effleuré, presque vingt ans après avoir intégré ledit musée. Il garde même une brève lueur bon enfant dans ses yeux, presque indétectable au premier balayage du regard. Me concernant, je le compare à l’épicentre d’une toile. Chaque filament, chaque artère, s’articule autour de lui, ses bras s’étendant d’une extrémité à une autre… Presque comme une Shiva, quitte à me permettre une métaphore plus « asiatique » (il faut bien se cantonner à la ligne éditoriale). Christian Sermet est responsable du service des expositions, ou chef de projet pour simplifier. Un rôle bien loin, mais pas aussi étranger aux vus et revus commissaires de nombreux musées français. Deuxième étage, nous nous posons dans l’exposition Origines, les récits du monde. Les ossements de quelques bébêtes nous épient. Rien de bien effrayant, Christian Sermet les connaît par cœur.
Ça m’a titillé. Si de nombreux musées français fonctionnent selon le célèbre modèle conservateur / commissaire, Confluences a complètement tourneboulé le concept. Vous travaillez avec des chefs de projet, ou chefs d’exposition. Avec vos mots, qu’est-ce que c’est ?
Christian Sermet // Un chargé d’exposition, c’est un chef de projet. Dans la plupart des musées, le modèle classique et ancestral descend des histoires des Beaux-arts. Puis, le standard s’est démocratisé auprès des autres établissements français. À l’INP (Institut National du patrimoine), on enseigne ce crédo. Un commissaire est un spécialiste de contenu qui va créer des expositions. Quand le musée des Confluences faisait ses premiers pas, Michel Côté a défendu la mise en place du modèle québécois (voire nord-américain) des chargés d’exposition. Un chef de projet ne détient pas la direction de l’exposition, et n’est pas non-plus un spécialiste de contenu. C’est l’interface entre le contenu et la forme, entre la scénographie et les collections du musée. Ils sont eu peu comme des ponts.Ils écrivent un scénario, puis font des premières sélections d’objets (qui nous appartiennent ou non), et choisissons finalement la scénographie. Il s’agit d’organiser, de concilier et de planifier. Il faut beaucoup de diplomatie…
J’imagine qu’être chargé d’exposition c’est aussi soumettre des idées d’exposition. En prenant l’exemple de Yokainoshima, esprits du Japon qui est elle-même une thématique assez insolite, comment on vient à choisir telle ou telle exposition ?
"Nous voulions confronter la pop-culture avec le mysticisme nippon."
@Arthur Brenac
CS // Nous fêtons cette année le 150e anniversaire de la restauration de Meiji, et le 160e du tout premier traité signé entre la France et le Japon. De nombreux établissements français suivent le programme Japonismes 2018 : les âmes en résonance, ce au gré d’expositions ou autres [Gérard Collomb, alors Président de la Métropole de Lyon, avait demandé au musée des Confluences de consacrer une exposition sur la thématique, Ndlr]. Héléna, la chef de projet de Yokainoshima, les esprits du Japon a alors proposé de traiter le monde de l’au-delà d’un œil japonais. Sujet que nous avons modernisé, que ce soit au niveau des contenus proposés (nous avons collaboré avec le photographe Charles Fréger notamment), ou de la problématique. Sans que nous le sachions, de nombreux codes et traditions nippones ont une place de choix dans la pop-culture occidentale. Prenons l’anime Naruto. Il met en scène le démon kyubi (alias le renard à neuf queues). Il est une partie intégrante du folklore japonais, mais n’évoque rien pour nous, occidentaux. Il est là le véritable enjeu de l’exposition : mettre en relation ce mysticisme japonais aux courants contemporains. Même s’il est inexistant dans l’urbain nippon, les campagnes fonctionnent énormément selon cette « mythologie ».
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Un yokai est un esprit frappeur dans le folklore japonais.
Ça me fait étroitement penser à Yokai-Watch (jeu vidéo du développeur nippon Level 5) qui a eu un succès fou au-delà des frontières japonaises. Si nous faisons un sondage dans la rue, je suis certain qu’une personne sur dix est capable d’expliquer ce qu’est un yokai…
CS // Exactement. Il y a un vrai folklore derrière Naruto ou, comme vous l’avez dit, Yokai Watch. Il faut pousser le public à aller voir plus loin que le bout de son nez. S’il faut, il y a peut-être le yokai des sièges ? Nous sommes assis sur lui d’ailleurs (rires). Mais oui, le but est de re-contextualiser ces éléments que nous pouvons retrouver dans légion médias, anime, manga ou autres.
Puisque nous parlons de la culture nipponne, j’imagine que son succès auprès des plus jeunes générations a pu influencer la décision du musée…
CS // Pour nous, Yokainoshima, esprits du Japon est aussi une tentative de toucher une autre tranche démographique. Typiquement, les férus du Japon se situent entre l’âge adulte et l’adolescence. Ce genre d’expositions les attire. Ils y trouvent leur compte, car elle appelle à leur passion, mais reste pédagogique. Ils s’attendent à retrouver tels éléments, mais nous tâchons d’avoir une longueur d’avance et de les surprendre. D’autres vont peut-être être plus attirés par la dimension historique et culturelle…
Nous recherchons vraiment à croiser les publics : l’espace d’exposition est un espace social. Si certains musées préfèrent créer des parcours selon les différents degrés de lecture, nous optons pour un parcours unique, où tout le monde peut se retrouver autour d’un même langage. Les textes sont méticuleusement travaillés, pareillement pour la présentation et la disposition des contenus, pour qu’un collégien puisse apprendre au même titre qu’un adulte lambda. Puisque vous êtes journaliste, on va comparer ça au Progrès. Il y a une écriture accessible au plus grand nombre, que ce soit sur la soudaine montée des prix des poireaux sur les marchés ou sur un glaçant fait divers.
@musée des Confluences
@Arthur Brenac
Ça va de pair avec le choix des sujets. Rares sont les musées et établissements qui proposent des sujets aussi spécifiques et qui pourtant arrivent à les ouvrir pour occuper plusieurs centaines de mètres carrés. Pour Confluence, diversité est la règle d’or ?
CS // On pourrait faire les dinosaures, les peintres impressionnistes… bref choisir la facilité. Mais nous ne le faisons pas. Nous préférons nous frotter à des thématiques qui ne viennent pas à l’esprit automatiquement. Il n’y a qu’à voir Venenum [exposition qui précédait Yokainoshima, esprits du Japon, Ndlr]. Qui y aurait pensé ? Malgré la présence de serpents et autres animaux dangereux, donc terrifiants pour la plupart, on enregistrait tout de même 1 500 visites par jour. Nos sujets doivent appeler à tout le monde, sans qu’ils soient peu originaux non plus.
Revenons un peu sur Yokainoshima, esprits du Japon. Quand vous, ou un autre chargé de projet, soumet une idée, quelles sont les grandes étapes chronologiquement ? Quitte à être là, quelle serait la priorité n°1 ?
CS // Il faudrait qu’elle soit prête le jour J (rires). En premier lieu, le chef de projet va commencer par écrire un scénario [topo de l’exposition, Ndlr]. Dans le cas de Yokainoshima, esprits du Japon, il faut que ledit scénario se colle au cahier des charges de Japonismes 2018, mais il faut également qu’il soit cohérent vis-à-vis de notre ligne thématique. En parallèle, notre chargée de collection va établir une présélection d’objets qui pourront être présentés au sein de l’exposition. C’est un travail qui se co-construit et qui avance. Un vrai teamwork ! Le principal défi pour Héléna Ter Ovanessian (la chargée de projet pour Yokainoshima, esprits du Japon) était de mettre en regard les photographies contemporaines de Charles Fréger, et d’autres objets qui n’excèdent pas le XXe siècle.
@Arthur Brenac
Puis comme vous l’avez dit plus tôt, être un chargé de projet, c’est apprendre à faire des compromis. Peut-être que la scénographie se butte aux objets disponibles et vice-versa…
@Arthur Brenac
CS // Il y a toujours des contraintes. Celles de la salle, elles sont multiples, mais nous apprenons à faire avec. Nous acceptons le dialogue. Rien que sur Venenum, notre scénographe nous proposait d’inverser la première et seconde partie de l’exposition. Nous lui avons finalement donné raison. C’est un peu la même histoire pour Yokainoshima, esprits du Japon. Gilles Mugnier, le scénographe choisi, a proposé de diviser les salles selon des codes couleur assez bariolés. Même si moi-même je montrais un peu de réticence, nous avons écouté ses arguments, et avons finalement accepté sa proposition.
Puis nous arrivons tranquillement à aujourd’hui. Nous sommes presque à un mois du jour J. Priorité à quoi ?
CS // Nous sommes en train de monter le mobilier. Une fois fini, nous monterons d’abord les graphismes, puis les photographies de Charles Fréger, et nous attendrons le dernier moment pour déballer les objets. Nous commençons en général par les pièces les moins fragiles (donc moins sensibles à la lumière). En parallèle, nous tâchons de fragmenter les phases d’installations. Soit nous commençons par installer nos propres collections, soit celles qui sont externes au musée, pour éviter de mélanger…