インタビュー
@Arthur Brenac
" La régie...
... c'est être intelligent avec les mains."
"Mais n'est-ce pas un poil trop tranchant pour être manié ?" Pas de panique, Karine Delerba en a déjà vu de toutes les couleurs. Elle manie antiquités et raretés d'une surprenante finesse, être régie des oeuvres oblige. Alors qu'elle scrute une panoplie cosplay, nous échangeons...
@Arthur Brenac
En face des espaces de restauration, dans les entrailles profondes du musée des Confluences, Karine Delerba aiguise son oeil. Ses mains gantelées caressent et assimilent un katana (sabre nippon, Ndlr) de cosplayeur, à peine reçu par l'établissement. Là pourrait être résumé tout le rôle d'une régie des oeuvres : recevoir, vérifier et rendre des objets. Hors rien n'est simple, et encore moins explicite. Car chaque élément abrite une histoire, des codes une forme physique... Tant de facteurs qui complexifient un métier déjà délicat en soi. Le voyage des objets est aussi essentiel que leur destination finale. Karine Delerba, elle l'a bien compris.
Les chargés d’exposition et chargés de collection volent un peu la vedette. Pourtant, si personne ne supervise les déplacements des objets, il n’y a tout simplement pas d’exposition. Dans ce sens, vous avez un rôle essentiel. Pouvez-vous m’expliquer en quoi consiste votre métier de régie ?
Karine Delerba // La régie, ça va être tout ce qui est autour de l’objet. Par là, je pointe le transport, les assurances, l’installation… Il s’agit aussi de faire venir les restaurateurs avec les chargés de collection. Ça va être ranger les objets, prévoir leur arrivée, leur départ… Faire en sorte que la paperasse soit à jour. Ici - ce comptant les réserves astronomiques du musée Guimet- nous comptons plus de deux millions d’objets qui ont tous des typologies différentes. Chose qui complexifie un poil notre travail…
D’autant plus qu’un objet d’exposition n’est pas un jouet. On ne peut pas le prendre par tel bout en espérant que ça ne casse pas. C’est tout un savoir-faire non ?
KD // En effet, on ne traite pas les choses de la même façon. Là, nous avons passé deux semaines à Paris à emballer des coiffes qui étaient toutes différentes. Certaines d’entre elles nécessitaient deux minutes, d’autres trois heures. Ces dernières vont être plus techniques, car des parties ne doivent pas être en contact au risque de s’effriter. Vous l’aurez compris, le conditionnement est fait sur-mesure à chaque fois. C’est le même topo pour le transport. Les matériaux les plus fragiles vont nécessiter des caisses adaptées (des caisses dites écrans). D’autres devront se contenter de caisses plastiques avec tamponnage et papier de soie.
@Arthur Brenac
Yokainoshima, esprits du Japon se repose énormément sur des prêts. J’imagine que vous avez fait feu de tout bois. Dans ce cas-ci, quel a été votre rôle ?
KD // J’ai fait plein de choses (rire). Je devais déjà faire venir tous ces objets qui sont prêtés. Pour Yokainoshima, esprits du Japon, il y en a qui ont été empruntés aux Beaux-Arts de Nancy, au Quai Branly, au musée Pincé d’Angers, au musée international du Carnaval et du masque à Binche en Belgique, et une poignée du musée national d’Arts asiatiques de Paris. Toute une aventure ! Il faut que nous trouvions un accord avec les prêteurs. Tous les objets doivent ensuite être assurés. Nous devons leur trouver le bon transporteur, voire plusieurs s’ils arrivent par vagues. Je supervise pareillement les va-et-vient des objets dans les espaces de restauration. Evidemment, tout ne peut pas être transporté en un seul morceau. Certaines panoplies, par exemple, de Yokainoshima, sont montées sur place.
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"Il faut avoir beaucoup de bon sens..."
@Arthur Brenac
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Être régie, c’est beaucoup de rigueur j’imagine. D’où est venue cette passion pour l’objet et son transport ?
KD // Je me suis orientée vers ce métier parce que j’aime cette proximité avec les objets. J’ai d’ailleurs commencé l’accrochage, car je voulais avoir une antiquité rare dans les mains au moins une fois dans ma vie. N’étant pas millionnaire, c’était ma seule option (rires). Puis, comme vous dites, la régie fait que nous nous construisons une rigueur et obtenons des réflexes. Je ne pense pas qu’on puisse appréhender l’objet de façon théorique uniquement. Les cas diffèrent, d’un matériau à un autre. La chose a une réalité, et les objets ont un poids. C’est tout un panel de facteurs qui a une incidence lorsque nous installons les éléments d’une exposition. Quelque chose de cinq kilos ne va pas être installée de la même façon qu’un petit truc de 500 grammes. C’est beaucoup de jugeote.
Ça fait dix-quinze ans que je manipule les arts contemporains. C’est une école qui nous apprend le bon sens. Il faut toujours regarder un objet avant de le manipuler. Ainsi, nous comprenons où est-ce qu’il s’attrape, même si nous nous en doutons au premier coup d’oeil. Il y a une phrase que j’aime beaucoup, c’est « l’intelligence de la main ». La main nourrit la tête, car elle perçoit ce que les yeux ne voient pas. Les deux sont indissociables.
Mais, est-ce que le bon sens suffit ? Certains objets doivent être de véritables pestes, surtout quand nous commençons à les manier…
KD // Hors Yokainoshima, esprits du Japon, nous avons emballé des petites coiffes balinaises en moelle de sureau - on les appelle des cauchemars sur patte. C’est très joli, certes, mais c’est surtout extrêmement fragile et léger. Il suffit de souffler dessus pour ça cède, et j’exagère à peine. Là il faut trouver des astuces pour que l’objet arrive en un seul morceau.
Pour Yokainoshima, esprits du Japon, nous avons eu quelques soucis avec la lame d’un sabre japonais. Nous n’osons pas le sortir. D’une il est tranchant, mais surtout il est très ancien. Nous avons un fourreau et le manche du sabre avec une fausse lame. À côté, il y a la vraie lame qui voyage dans un étui séparé en bambou. Et pour accéder à la lame en question, il faut faire sauter une petite pièce de menuiserie. Par sécurité, nous attendons la venue du prêteur, lui a les pièces pour déverrouiller l’objet. En cas de pépin, nous nous remettons aux chargés de collection qui connaissent les moindres paramètres de l’objet… Pour Venenum, nous avions une pipe à opium. Je me suis entretenu cinq minutes avec le chargé de collection concerné pour bien comprendre comment se tenait l’objet.
@Arthur Brenac
Tout ceci menant à l’installation d’une exposition. Vous avez un sacré pouvoir dessus, si je ne m’abuse…
KD // Nous savons déjà dans quelle vitrine un objet va se poser. Sur place, nous faisons des propositions. J’explique les choses qui sont réalisables, pose mon veto si une proposition met en danger l’intégrité d’un matériau. De plus, nous devons nous plier à des normes muséales, et aux exigences des prêteurs.